mercredi 29 mai 2013

Facebook, narcissime et exhibitionnisme. Par Robert Redeker

Ces dernières années ont été celles du surgissement de médias inattendus. Parmi eux : Facebook, média autoproclamé de socialisation.  Une familiarisation avec ce réseau fait rapidement ressortir une autre caractéristique, moins reluisante que la socialisation : Facebook est aussi un média d’exhibition. La socialisation y est le masque de l’exhibition.

Que fait-il, Homo Numericus, sur ce « réseau social »? Il y publie ses pensées les plus triviales, ses idées les plus insignifiantes sans aucune exigence de qualité intellectuelle. L’’exigence stylistique s’avère absente elle aussi : il n’y a pas d’écriture sur Facebook. On n’y écrit pas, on y communique. L’écriture – qui culmine chez les classiques de la littérature – repose sur un travail d’élaboration. Elle est indirecte. L’impératif du réseau social énonce le contraire: dire directement, en quelques mots, sans élaboration.  Brut de décoffrage – le contraire de la pensée, le contraire de la littérature.
Sur Facebook, la communication a tué l’écriture.
La communication sans le dialogue signe Facebook. La limitation du nombre de signes laissés aux commentaires est faite pour empêcher le dialogue. Le fil des discussions le met en évidence : sur Facebook, on ne se rencontre pas, on se croise. Les humains y sont des bulles autocentrées dont le lien social se réduit à la communication. Une forme nouvelle de communication s’impose ainsi : la communication sans la rencontre ni le dialogue. Disons plus : sans enjeu.
Dans la vie extérieure à Facebook, il en allait, dans la communication, du sens de la vie. La communication avait l’épaisseur de l’existence. Elle gonflait l’existence de sa sève, lui donnant sa signification. Le sens était l’enjeu. Facebook au contraire promeut une communication vidée du sens.
La ligne de partage entre vie privée et vie publique se reconfigure, sinon s’efface du fait de l’évolution technologique. La télé-réalité (Secret Story) aussi bien que Facebook manifestent une généralisation de  l’exhibitionnisme qui signale un nouveau rapport à la vie. Exhibition de l’égo, du moi, ou de ce qu’il en reste. Au vu de la consternante banalité des conversations électroniques sur le réseau social, un constat s’impose : le facebookien rejoint dans le néant de l’humain les candidats des émissions de téléréalité. L’exhibitionnisme du vide y triomphe.
Cet exhibitionnisme est paradoxal dans la mesure où il repose sur l’éclipse, signalée par Michel Foucault comme étant « la mort de l’homme »,  de l’intériorité : l’exhibitionnisme se répand parce qu’il n’y a plus rien – à part le sordide conformisme - à exhiber. En parallèle avec la téléréalité, Facebook fait paraître une mutation du psychisme humain : un nouveau moi – un moi sans profondeur – et une nouvelle subjectivité – une subjectivité sans intériorité.
Rien n’est plus frappant que la partie photo des pages facebookiennes. La plupart des internautes laissent d’innombrables photographies d’eux-mêmes singeant plus ou moins consciemment l’univers «people ». Sur Facebook, l’exhibitionnisme, tourné vers les voyeurs, épouse le narcissisme, tourné vers une intériorité disparue. Jadis, le narcissisme se repliait sur le moi, la profondeur ; ici, il se replie sur le corps, la superficialité.

Finalement, Facebook désinhibe le narcissime et l’exhibitionnisme tout en les transformant. Cette situation trace les contours d’un type nouveau d’être humain. Il n’écrit plus, il ne pense plus, il communique. Il twitte. Son rapport au monde ne passe plus par les méandres de l’intériorité, la profondeur de l’âme, lieux du secret, mais par un réseau virtuel dont la nature repose dans la publicité, excluant tout obstacle à la transparence, en particulier la profondeur.

Robert Redeker (philosophe), “Facebook, narcissisme et exhibitionnisme”, in Médias, hiver 2009

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