dimanche 20 février 2011

Amour: à la recherche d'un mode d' emploi

Il y a cinquante ans, le psychanalyste germano-américain Erich Fromm écrivait déjà, dans son Art d’aimer (Desclée De Brouwer, 1995) : “Il n’y a guère d’activité, d’entreprise, dans laquelle on s’engage avec des espoirs et des attentes aussi démesurées, et qui, pourtant, échoue aussi régulièrement que l’amour.”
Autour de l’amour…
Comme très peu d’entre nous en concluront qu’il vaut mieux y renoncer et apprendre à la place la cuisine ou le russe, essayons au moins de comprendre quelques bribes actuelles de cette pulsion tenace. “Est-ce que tu m’aimes ?” Que veut dire exactement le oui qui vient en réponse ? Que l’autre est la personne la plus importante de notre vie ? Que l’on éprouve simplement un vif plaisir à penser à elle ? Dans les deux cas, ce oui est sincère, mais ne pèse toutefois pas le même poids. L’amour est le type même du mot-valise, où chacun fourre ce qui lui convient. Quand l’un parle d’engagement, l’autre, avec le même mot, répond attirance. D’où une inépuisable cascade de malentendus.
Les dilemmes
Du fait de la solitude engendrée par notre individualisme et de l’inlassable décomposition-recomposition des familles, nous nous sentons plus isolés. Il n’est donc pas surprenant que la demande amoureuse soit plus forte que jamais. Mais la démarche n’est guère plus assurée et le taux d’échec reste bien peu encourageant. Pourquoi ? C’est qu’en tant qu’amants, nous sommes devenus à la fois plus sceptiques et plus exigeants, mais toujours mal équipés pour exercer l’art d’aimer.
Plus sceptiques
Qui, passé l’adolescence (et même pendant ?), oserait encore faire rimer amour et toujours ? L’amour paraît frappé de précarité, et Philippe Sollers s’excuse presque d’affirmer, dans Passion fixe (Gallimard, 2000), qui raconte sa liaison de trente ans avec l’écrivain Dominique Rollin, que ça puisse quelquefois – mais si, mais si ! – durer longtemps. Entre les enfants nés hors mariage (près de 40 %) et ceux dont les parents se sont séparés, seule une minorité d’entre nous pourra se référer dans son enfance à une image de couple “indéfectible”. Comme si le moule s’était cassé.
Depuis qu’il est admis que chacun vivra plusieurs amours, on ne sait plus bien comment “coter” le sentiment qu’on se surprend à éprouver : désir, flirt, relation, jolie histoire ou Grand Amour ? A force de refuser de se faire avoir, on ne se donne plus : on se prête et on guette l’apparition de la moindre lézarde au ciel de lit. Puisqu’on s’attend à l’éphémère, il a d’autant plus de chances de s’accomplir.
Plus exigeants
Tout le monde, passé 12 ans, s’estime sexuellement affranchi. Les mêmes adolescentes, qui rêvent comme avant du prince charmant, se lancent en cour de récréation des vannes à propos de leurs zones érogènes. Et celles qui rougissent se font traiter de “coincées du cul”. On veut “s’éclater” et on compte sur l’autre pour mettre le feu. De plus, la vulgate psy imprégnant les émissions télévisées de grande écoute, chacun veut “s’accomplir” et éviter de “s’aliéner” dans une relation insatisfaisante. En échange d’une part – à négocier – de notre très sacrée liberté, on attend de l’autre tout à la fois de la passion, du respect, de la tolérance, de l’humour, de la responsabilité et de la virtuosité érotique. Epuisant, non ?
Les unes regrettent les “vrais hommes” et les autres fantasmes sur les “vraies femmes”. Les modèles idéaux, abondamment détaillés par les médias, intimident les soupirants. Une fois amants, on ne sait plus bien jusqu’à quand on reste en période d’essai.
Mal équipés
On aurait pu espérer que la constatation de ces déconvenues pousse à plus de réalisme dans la pratique. Pourtant, la plupart d’entre nous continuent à confondre la magie de la rencontre avec une assurance de durée. L’une ne se commande pas, l’autre requiert un minutieux travail quotidien que personne ne nous apprend. On semble mieux informé des pièges de l’amour que de son mode d’emploi. On continue à croire que l’essentiel est d’avoir trouvé l’objet de son amour, sans s’interroger sur ses propres compétences à faire durer la relation. On semble attendre de l’amour la solution à nos insatisfactions narcissiques et affectives, sans mesurer combien il a besoin de santé psychique mutuelle pour s’épanouir.
La plupart d’entre nous se préoccupent davantage d’être aimé que d’aimer. On continue à se refuser à toute “analyse” du fonctionnement de nos amours, sous prétexte que ça “tue le mystère”. On sait mal en parler avec l’autre, sinon sur le mode de la demande ou, pire, de la récrimination. L’art d’aimer, comme plein accomplissement de nous-même au bénéfice de l’autre, reste à découvrir, en autodidacte, chacun à son tour. Le paradoxe n’est qu’apparent. Nous en savons bien plus sur nos fonctionnements psychologiques et sexuels que nos parents. Comment la candeur et la fraîcheur que suppose un pari amoureux n’y aurait-elle pas perdu quelques plumes ? Peut-être mais, en la matière, nous sommes particulièrement difficiles à décourager. Peut-être parce que deux amours ne se ressemblent jamais. Peut-être parce qu’à force d’essayer d’aimer, il arrive qu’on apprenne à aimer un peu mieux.
- Jean-Louis Servan-Schreiber

1 commentaire:

  1. l'autre jour je t'ai listé tout plein de chansons dont je me demandais comment tu les chanterais, et à l'instant je viens d'en trouver une qui en plus dit de petites choses en écho à ce billet. C'est la chanteuse de Portishead, Beth Gibbons qui la chante, et son titre c'est "Romance".

    http://www.youtube.com/watch?v=7hasnaQsZWo

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